Olivia Walker ‣ Indyamarie Jean

Ton acte de naissance indique que tu as pris ton premier souffle dans le même hôpital où tu travailles aujourd’hui mais tu n’en a pas souvenir. Trop jeune certains disent, traumatisant pour les autres. Tu as été confiée dans les heures qui suivirent à un orphelinat en bordure de ville. De cet orphelinat non plus, tu n’as pas de souvenir. Tu as été adoptée avant d’être en âge de souffler ta première bougie. Tes parents adoptifs disent que c’est tes cheveux qui les ont marqués en premier ; il parait que tu avais déjà une chevelure fournie, noire comme du charbon et frisée comme un mouton, puis c’est tes yeux qui les ont fait craquer, grands, à fleur de tête, vifs et brillants. Tu as rejoint le cocon d’une famille composée de deux parents aimants et d’une adolescente de 12 ans, ta sœur, Tiana. D’elle, tu n’as jamais été véritablement proche. Pas que tu ne l’aimais pas, loin de là mais la différence d’âge a creusé un fossé entre vous, malgré vous. Pourtant, Tiana, tu l’adores (l’adorais) et chéris son souvenir. Tu as grandis normalement, prononcé tes premiers mots, fait tes premiers pas, mis les pieds dans une école et fait la fierté de tes parents qui, pas une seule seconde, n’ont regretté d’avoir adopté l’ange que tu étais et que tu es toujours aujourd’hui.

Tu te souviens parfaitement de l’année de tes quatre ans. Tes parents t’avaient annoncé que tu allais avoir un grand frère. Ça ne te réjouissait pas ni te rendait triste. Tu ne t’étais pas tant liée à ta sœur, ça ne pouvait être que la même chose avec ton frère, n’est-ce pas ? Et puis les garçons, c’est chiant, tu as pu en faire le constat à l’école : ça joue aux camions, ça crie, ça tape. Pourtant ça été un coup de foudre. Zephyr, tu l’as aimé dès le premier regard. Il avait 7 ans, le regard profond, les pommettes saillantes et des cheveux comme l’ébène, et puis surtout, il n’était pas comme les autres garçons. Il avait cette douceur sans pareil et cette capacité de te calmer la nuit, quand il fait noir. Car tu as toujours eu peur du noir. L’obscurité acerbe tes sens, nourrit ton imagination et tend tes muscles jusqu’à ta nuque. Mais avec Zephyr, c’était différent, tu te cachais sous la couette avec lui et tes peurs étaient moins grandes. Puis il y a eu ce jour, quelques mois après qu’il ait rejoint votre famille. C’était les vacances de Pâques et tu avais donné un grand coup de feutre sur le dessin de Zephyr. En colère, il a tenté de t’attraper et tu as pris les jambes à ton cou et t’en es allée dans la cuisine remplir la pièce de ton rire fripon. Il est parvenu à t’attraper et en te tirant à lui, tu as malencontreusement bousculé le manche de la casserole rempli d'eau bouillante. Tu as alors ressenti une douleur fulgurante dans l’épaule et la poitrine. Tu as porté ta main à ton cœur et as hurlé. Jamais tu n’avais eu aussi mal. Tu as tenté de te débarrasser de la douleur en faisant pression contre mais tu t’es rapidement écroulée sous l’intensité de la brûlure. Quelques heures plus tard, tu étais au service des grands brûlés de l’hôpital. Tous les jours, la cicatrice que tu en as gardée te rappelle ce malheureux événement. Un banal accident domestique.

La petite fille que tu étais a longtemps refusé de voir que la faute n’incombait ni à Zephyr, ni à toi. Tu as refusé de lui adresser la parole et ce malgré les mots avisés de ta sœur et de tes parents. Il a fallu attendre une nuit orageuse, une trentaine de jours après l’accident pour que tu te faufiles sous les draps de ton frère et parvienne à lui pardonner. Avec du recul, tu te dis que la brûlure a scellé votre amour. Vous étiez proches avant que tu ne t’ébouillantes, vous l’êtes encore plus depuis. Cet accident, tu te dis aussi parfois que c’était un coup de pouce des Dieux. Sans lui, tu ne te serais peut-être jamais dirigée vers la profession d’infirmière, qui, aujourd’hui, te comble et te rend heureuse. Tu as passé le plus tendre de ton enfance et de ton adolescence a joué aux infirmières, que ce soit avec tes camarades de classe ou ta famille. Tu es douée d’empathie, d’écoute et de patience. Tu es aussi indécise. Pas dans ta vocation d’infirmière, là tu es sûre de toi, mais dans ta vie personnelle. Tu t’es beaucoup cherchée, notamment à l’adolescence, tenté différents styles vestimentaires et capillaires, écouté de nombreux styles musicaux et tu es passée par plusieurs régimes alimentaires avant de t’arrêter sur le végétarisme. Tu es aujourd’hui à peu près sûre de ton style – simple, neutre- mais il t’arrive parfois de t’arrêter sur un K-way rose électrique ou un sarouel. De la même façon, tu changes régulièrement les meubles de ton appartement.

Tu es engagée dans différentes associations de protection de l’environnement. Là aussi, tu as longtemps été indécise. D’abord passionnée par les tortues, tu t’es engagée à prendre leur défense dans diverses manifestations. Tu connaissais tout des tortues : leur espérance de vie, leur régime, leur mode de reproduction, leur spots préférés. Puis du jour au lendemain, tu as abandonné les tortues pour t’engager contre la maltraitance animale. Tu as fait de nombreux sittings devant des abattoirs, dénoncé les pratiques inhumaines des industriels et t’es débarrassé de tous les produits sur lesquels il n’était pas inscrit les mots cruelty free. Aujourd’hui, tu donnes ton temps libre au nettoyage des plages. Membre d’une association de défense de l’environnement, tu t’occupes des réseaux sociaux de cette dernière et organise régulièrement des événements de nettoyage de la Terre. C’est vrai quoi, flûte, vous vivez dans un endroit paradisiaque, ce serait dommage de le salir, sans compter que les Dieux ne doivent plus vous voir du bon œil, à force. En cohérence avec ton engagement associatif, tu as à la maison trois chats et un cochon d’Inde. Tu es amoureuse des animaux. Tu aurais voulu adopter un chien, mais tes horaires à l’hôpital ne te permettent pas d’en faire tant. Tu aurais sinon déjà un bichon maltais. Tu adores les bichons maltais.

Ta vie te plaît. Tes collègues sont devenus de vrais amis avec le temps, tu partages ton temps libre entre footing, vie associative et famille. Tiana a perdu la vie il y a deux ans et vous a laissé une petite fille, Zoe, que tu gâtes autant que tu puisses te le permettre. C’est Zephyr qui en a la charge, mais cela ne t’empêche pas de te sentir responsable de cette petite bouille. Tes parents se font vieux, mais le temps exacerbe l’amour que tu portes à leurs égards. Tu as vécu quelques histoires d’amour, dont quelques unes qui t'ont marquées, mais tu ne te fais pas de soucis à ce propos. Il te manque juste quelque chose, un tu ne sais quoi de piquant qui puisse donner un coup de boost à ta vie, mais tu avances au gré du temps et des événements.